Publié par Jacques Arnol-Stephan

L'histoire libératrice ?

Vous avez très probablement entendu parler de “l’entreprise libérée”. Ce concept “made in France[1]”, appuyé sur l’expérience d’un Jean-François Zobrist à FAVI, rejoint par plusieurs autres chefs d’entreprises de taille et de secteurs d’activités très variés, théorisé par Isaac Getz dans son livre Liberté et cie, a reçu ces derniers jours un coup de projecteur médiatique inattendu, grâce entre autre à une émission d’Arte. Inattendu tant il est rare en France qu’on dise du bien de l’entreprise et de son management ! Mais ne boudons pas notre plaisir. Que l’on associe autre chose que “bagne” au mot entreprise est une excellente nouvelle. D’autant que “l’entreprise libérée”, ça marche ! Non seulement les gens semblent y être plus heureux qu’ailleurs, mais en plus l’efficacité économique est au rendez-vous. Je connais une demi-douzaine d’entreprises qui ont fait ce choix : nouvelles idées de développement, efficacité dans les projets, qualité des relations avec les clients,… malgré la diversité de leurs businesses, leurs chefs d’entreprise n’ont eu que de bonnes surprises !

Les clefs pour libérer son entreprise

J’ai le plaisir d’accompagner depuis quelques mois un chef d’entreprise et son équipe, qui ont fait le choix de libérer leur entreprise. Ce qui m’a naturellement conduit à réfléchir aux clefs d’une telle libération. Les quatre consignes données par Isaac Getz aux patrons candidats à la libération sont :

  • arrêtez de parler et commencez à écouter
  • commencez ouvertement et activement à partager votre vision de l’entreprise
  • cessez d’essayer de motiver les gens
  • restez attentifs

Au-delà de l’attitude du dirigeant, qui, pour être le facteur déterminant de réussite, n’est pas la seule clef, je distingue trois conditions qui rendent possible ce processus de libération :

  • Une entreprise libérée, c’est une entreprise transparente (en interne, bien sûr). L’information, c’est le pouvoir, et partager le pouvoir implique donc de partager l’information. Pour partager le pouvoir avec tous les membres de l’entreprise, il faut donc la rendre transparente, pour tendre vers une meilleure égalité face à l’information.
  • Une entreprise libérée, c’est une entreprise pacifiée. C’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf. Libérer votre entreprise élimine de nombreux points de friction, de conflits. Mais en même temps, la “libération” n’est pas possible si elle doit tourner au règlement de comptes ! Il est donc essentiel d’apprendre à négocier gagnant-gagnant.
  • Une entreprise libérée, c’est une entreprise ancrée sur ses fondamentaux : sa raison d’être, ses valeurs. Car une entreprise libérée, ce n’est pas “chacun fait ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut” ! Cela, ce serait l’anarchie d’abord, la mort de l’entreprise à très court terme ensuite. Une entreprise libérée, c’est “chacun pilote de façon autonome ses actions pour le bien de l’entreprise”. Ce qui exige une vision partagée de ce qu’est “le bien de l’entreprise”.

Révéler la vraie culture de l’entreprise

C’est ce dernier point que je veux un peu développer aujourd'hui. La vision partagée des fondamentaux de l'entrerpise ne saurait en effet se limiter à la vision du patron… partagée avec les autres ! Ce serait sinon une bien piètre libération, et surtout une bien éphémère libération. Car, une fois que les “verrous” du management hiérarchique auront sauté, comment faire en sorte que chacun interprète de la même façon la “pensée du chef” ? Non, cette vision partagée ne peut être qu’issue d’un vrai travail collectif, d’une prise de conscience de ce qui fait la culture de l’entreprise, sa raison d’être et ses valeurs clés à travers les étapes de son développement. Car il s’agit bien d’une compréhension et non d’une construction. On n’impose pas une culture à un collectif. Celle-ci se construit au fil de son histoire. Comme le rappelle Jim Collins dans Good to great (De la performance à l’excellence), ce qui fait la réussite des entreprises, c’est la bonne compréhension de leur “concept du hérisson” : le croisement entre ce qui fait tourner le moteur économique, ce qui donne envie de venir travailler tous les jours, et ce dans quoi on peut être “les meilleurs”. Cela ne se décrète pas, cela se comprend en regardant fonctionner l’entreprise…

…Ou en regardant son histoire. Il peut sembler paradoxal d'aborder le changement radical que représente la “libération” de son entreprise par l'histoire. Et pourtant, cette histoire n’est pas qu’une série d’actions déconnectées les unes des autres. Elle fait sens, puisque c’est à travers les choix qui on été faits au fil des ans par le management et les collaborateurs de l’entreprise que celle-ci est ce qu’elle est aujourd’hui. Cette histoire a forgé son ADN, a élagué ce qui était en dehors de son “hérisson”, a sédimenté ce qui est devenu ses valeurs clés. Bien mieux qu’un brainstorming collectif ou qu’un projet de “corporate branding”, cette histoire révèle la personnalité de l’entreprise, cette personnalité qui dépasse les modes et les formes d’organisation. Et c'est cette “personnalité collective” qui garantit la cohérence, la cohésion d'une entrerpise libérée.

L'histoire libératrice ?

Faire de son histoire le ciment d'une vraie communauté

Pour révéler cette histoire et en faire un véritable levier dans la libération de l’entreprise, il ne faut surtout pas la confier à un historien ou un journaliste qui travaillerait de l’extérieur. Car ce qui compte en l’occurrence n’est pas tant la “vérité historique” que l'appropriation par tous d'un fil rouge, fait tout autant des “faux” souvenirs que des faits objectifs. C’est avec les salariés qu’elle doit s’écrire, de façon interactive, en suscitant des échanges, des débats, des confrontations parfois. Ecrire, ou plutôt récrire ainsi l’histoire est alors la voie la plus directe pour s’approprier les fondamentaux, les constantes de l’entreprise, et pouvoir ainsi projeter une vision du futur réellement partagée. Et en même temps, une démarche bien conduite d’écriture collective de l’histoire de l’entreprise sera un élément fort pour construire une entreprise pacifiée. En faisant parler, en recontactant les réussites, mais aussi les difficultés passées, on prend conscience plus fortement de la communauté et de sa force.

Alors, surtout, n’hésitez pas à libérer votre entreprise. Et pour le faire, pour entrer de plain-pied dans cette aventure dont on ne sait jamais très bien jusqu’où elle peut vous porter, regardez d’où vous venez, faites de votre histoire, écrite et réécrite collectivement, la véritable clef de cette libération.


[1] Soyons précis : il existe des entreprises libérées ailleurs qu’en France, en particulier outre Atlantique, où on pourrait voir l'origine de l'idée. Harley Davidson en fait partie, par exemple. Et l’empowerment anglo-saxon ressemble à s’y méprendre à notre “libérons l’entreprise”. Mais laissons à César (en l’occurrence, Isaac Getz) la paternité de l’expression.

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M
Faut-il comprendre que les rapports de force ont disparu ? Est-ce à dire que les salariés ont les même intérêts que les dirigeants ? Enfin le lien de subordination disparaît-il ?
Répondre
J
Bonne question… souvent posée. Et vous, qu'en pensez-vous ? Les salariés partagent-ils avec les dirigeants un fort intérêt à ce que l'entreprise soit performante ? Dans les entreprises que j'accompagne, la réponse est oui, sans que pour autant le lien légal de subordination ne disparaisse. Car ce lien est légal, pas managérial ! A lire prochainement sur ce blog, une autre façon de poursuivre ce débat.