Publié par J2-Reliance

L’entreprise libérée : rendez-vous des bisounours ou vraie vie ?

Dans un récent article sur ce blog, j’évoquais l’entreprise libérée à travers une question : comment utiliser un travail sur l’histoire de l’entreprise pour faire émerger sa vraie culture, gage de réussite de sa “libération”. Cet article a suscité de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, non pas tant sur la question qu’il abordait que sur l’idée même d’entreprise libérée. On retrouve dans ce débat quelques éléments bien classiques de notre idéologie française antilibérale : les salariés et les patrons n’auraient décidément et définitivement pas les mêmes intérêts, et la lutte des classes resterait le seul filtre à travers lequel on peut vraiment comprendre ce qui se passe dans une entreprise. Selon ce filtre, l’entreprise libérée serait une vision de bisounours, et la dure réalité des rapports de force la seule vraie façon de comprendre le monde.

Et si cette vision réductrice avait quelque chose de vrai ? Si effectivement libérer son entreprise méritait quelque “précaution” pour éviter qu’une vision trop idéaliste, trop “fleur bleue”, ne conduise droit à l’échec ?

Une entreprise pacifiée…

J’ai déjà indiqué qu’il y a trois conditions pour pouvoir avancer vers une entreprise libérée. La transparence — une entreprise libérée est une entreprise transparente en interne ; l’ancrage sur des fondamentaux solides, conscients et partagés — ce sont ces fondamentaux qui deviennent la vraie colonne vertébrale de l’entreprise, une fois que l’on a “ouvert les barreaux de la prison hiérarchique” ; la paix — il n’y a pas d’entreprise libérée qui puisse survivre sans être pacifiée.

Ce dernier point pourrait sembler un peu naïf si on l’interprète comme un préalable permanent et statique. Il devient un vrai levier de progrès continu si on le prend comme un processus constant de règlement, et non de négation, des conflits.

Car une entreprise pacifiée, ça se construit. De la même façon que la paix dans le monde se construit et se défend tous les jours, la paix dans l’entreprise est fragile si on ne la soigne pas.

Je ne reviendrai pas ici sur l’art de désamorcer les conflits, déjà développé sur ce blog. J’y évoquais la nécessité, pour traiter sainement les conflits, d’accepter de les regarder en face plutôt que de les cacher ou les fuir. Au vu de quelques commentaires recueillis à propos de l’entreprise libérée, j’ajouterai aujourd’hui une condition pour pouvoir aborder sainement cette question : ne pas faire d’un pseudo conflit permanent d’intérêts entre salariés et patrons l’alpha et l’oméga des rapports sociaux ! Ce type de guerre de religion est aussi stérile que ce que les Guerres de Religion historiques l’ont été ou que celles qui font l’actualité au Moyen Orient et ailleurs le sont aujourd’hui.

Ceci a une conséquence très concrète si vous êtes patron et songez à libérer votre entreprise, ou si vous êtes salariés et souhaitez que votre entreprise se libère. Regardez avec lucidité votre culture d’entreprise : si celle-ci est structurée autour de la lutte des classes, des conflits sociaux irréductibles entre patron et salariés, alors, avant de songer à libérer l’entreprise, il faudra d’abord faire évoluer sa culture. C’est possible, mais ça prend du temps. Heureusement, s’il existe quelques entreprises ayant une telle culture, elles restent rares dans le monde des PME.

Apprendre à résoudre les conflits par le haut

Pour les autres entreprises, les plus nombreuses, celles donc où les conflits existent sans être pour autant des marqueurs culturels, il faudra apprendre à les résoudre par le haut.

Car la hiérarchie a un avantage en matière de décision et de gestion des conflits ! Un des salariés d’une entreprise dont j’accompagne la libération exprimait, au début du processus, une crainte forte : « Mais comment allons nous faire pour prendre les décisions difficiles, pour résoudre les conflits ? Ce sera un vote à la majorité ? »

Reconnaissons-le, il est souvent plus facile de « laisser les chefs cheffer », comme me le rappelait un jeune étudiant, quitte à s’opposer ou à critiquer leurs décisions. La nature humaine semble ainsi faite que la Liberté recueille souvent un succès d’estime massif… jusqu’au moment où on doit accepter aussi la Responsabilité dont elle est indissociable !

Une entreprise libérée, c’est une entreprise où chacun a plus de responsabilité, individuellement, mais aussi collectivement. L’entreprise que j’évoquais quelques lignes plus haut a su depuis traiter collectivement, sur la base d’un consensus construit, des questions aussi délicates que les salaires de chacun ou les contributions personnelles à l’effort commercial.

Une entreprise libérée n’est pas une pyramide inversée, mais une absence de pyramide ! Ce n’est pas “tout le pouvoir aux Soviets”, mais “tout se discute à la recherche de la meilleure option pour l’entreprise”. Concilier cette liberté-là et l’efficacité qu’exige la compétition économique s’apprend. Et cet apprentissage est une des clés d’un processus de libération réussi.

Les bases “théoriques” qui permettent de résoudre ainsi par le haut les conflits d’intérêts ont été posées il y a longtemps par Roger Fischer et William Ury : la négociation raisonnée n’est pas la négation des conflits, mais une méthode qui permet de construire efficacement une vraie solution gagnant-gagnant. C’est un des éléments à diffuser largement. Il y a d’autres clés méthodologiques, autour, par exemple, des processus de décisions, qui sont autant d’outils à mettre à la disposition de chacun dans une entreprise libérée. D’autant que, par un effet collatéral très positif, la montée en compétence ainsi déclenchée a des conséquences directes sur le développement du business ! Est-ce là une des raisons de la réussite économique des entreprises libérées ?

Un de mes amis, lui-même “patron” d’une entreprise qu’il a libérée pour lui permettre de rebondir et de grandir, me disait : « Les gens croient que libérer une entreprise, c’est d’abord en changer l’organisation, alors que c’est d’abord changer l’organisation mentale du patron… » J’ajouterais « …et pas que du patron ! » Heureusement, des pistes réelles existent pour faciliter ces changements. Apprendre collectivement à résoudre les conflits par le haut en est une.

Alors, toujours des doutes ? N’hésitez pas à en parler avec nous…

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