Sept questions à Alain Glon - regarder par dessus le talus

S'il est en Bretagne des patrons qui s'engagent, Alain Glon est bien l'un d'eux ! Président d'un groupe qui réalise 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires et qui emploie directement plus de 3700 personnes, Alain ne se contente pas de "gérer" son entreprise. Il parcourt la planète non seulement en ambassadeur d'un très beau groupe agro-alimentaire, mais aussi d'un style de management, d'une conception du monde économique … et de l'économie au service du monde.
Alain a accepté de répondre à nos questions. Laissons-lui la parole.
Le groupe Glon est aujourd’hui le “fer de lance” d’une coopération économique entre la Bretagne et le Vietnam. Comment cela s’est-il fait, comment cette confiance s’est-elle créée ?
Comme souvent c’est le hasard de rencontres, dans une réunion, le dialogue avec un voisin d’avion ; le fait d’être ouvert et à l’écoute des autres est assurément le moyen de voir des opportunités. "Donnez un même journal à lire à 2, à 10 personnes, vous en avez qui y verront les mauvaises nouvelles, d’autres y verront les chiens écrasés, et une troisième catégorie de lecteurs verra plein d’opportunités d’affaires, de contacts…"
En second lieu je crois qu’il faut écouter l’attente de l’interlocuteur, se poser la question de savoir si moi ou d’autres n’ont pas la réponse à sa question.
Et enfin il faut être en situation de déceler quelles sont nos vraies richesses… savoir nourrir des cochons à 1% moins cher que ses concurrents ou plutôt détenir un savoir faire, un savoir faire socio économique qui peut intéresser quelqu’un ailleurs dans le monde ? Si tu te considères comme un « pion » dans une case, dans une cage, une « force de travail » au service du système qui te gouverne, alors besogneux tu es et besogneux tu resteras.
Pour la suite le système d’organisation du Vietnam est si proche de la Machine France que nous n’avons pas eu de mal à le décrypter et à remonter jusqu’au premier ministre qui s’est montré intéressé par notre discours et notre capacité à leur montrer une voie possible pour les aider à sortir du système communiste.
Vous accordez une place significative aux valeurs et à l’histoire dans la culture de votre Groupe. Comment y conjuguez-vous performance économique et valeurs profondément humanistes ?
Votre question m’étonne : autant je crois que des gens peuvent se mobiliser pour une ambition qui rejoint leurs préoccupations (la culture, la planète, la solidarité…) autant je les crois incapables de se mobiliser pour un compte d’exploitation ou un business plan… En tous cas ceux que je souhaite voir devenir mes collaborateurs sont incapables de se mobiliser pour un bilan. Je crois qu’il en va de la vie professionnelle comme du sport : ceux qui visent la ligne s’effondrent 10 mètres avant, ceux qui visent 10 mètres au-delà sont ceux qui gagnent. Je demande à mes collaborateurs de regarder l’horizon… un horizon qui recule aussi vite que l’on avance… juste le contraire d’un diplôme…
Cette approche managériale spécifique, cette volonté de voir l’entreprise autrement que comme une pure machine à faire du profit est-elle aussi un des éléments de votre réussite au Vietnam ?
Oui, je le crois. Je leur dis que les entrepreneurs et les paysans Bretons sont des résistants, aucune des grandes multinationales n’a pu soumettre ces gens. Les paysans Vietnamiens sont aussi des résistants, ils l’ont prouvé. Si nous leur éclairons le chemin, ils vont à nouveau décupler leur succès.
Je disais au « responsable de l’idéologie du parti » que ce n’était pas les paysans qui avaient besoin des dirigeants, mais c’est l’inverse… les citadins ont ou auront faim, les citadins ont peur de la nourriture (type chinois) qu’ils donnent à leurs enfants. Les citadins ont peur de la pollution que par ignorance les paysans leur envoient par les fleuves (un élevage de 14 000 truies met tout au fleuve…)
PARCE QUE nos Valeurs conviennent aux dirigeants du Pays, ils nous disent : "nous voulons que vous reproduisiez ici ce que vous avez fait en Bretagne", "nous savons que vous ne viendrez ici que si vous gagnez de l’argent, alors on va vous confier une partie du capital des entreprises que nous voulons privatiser… ", etc.
Je vous le disais où sont nos richesses ?
Aujourd’hui, on parle beaucoup de Développement Durable. Je crois que, dans le Groupe Glon, vous avez entamé une action pour intégrer le “coût planète” à vos indicateurs économiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Chacun se bat pour ce qui lui manque…pour son roi.. pour l’honneur.
Je crois que ce qui va nous manquer très bientôt c’est de "la planète“. Nous continuons de faire des comptes sur une logique de flux, comme si les biens de la planète étaient une "gratuité" inépuisable… Je crois que le stock est en train de se tarir et que notre comptabilité va devoir prendre en compte le "stock".
Aujourd’hui lorsque nous formulons des aliments pour les animaux, nous optimisons pour un prix de revient le plus bas tout en respectant des contraintes nutritionnelles. Or, pour parfois un pour mille en différence de prix de revient financier, nous observons une "consommation planète" deux fois supérieure. Tel est le cas par exemple selon que le composant céréale soit du blé, de l’orge ou du maïs ; pour ce dernier, s'il a été irrigué, s'il a fallu du fuel pour le sécher … la calorie "planète" est infiniment plus onéreuse. Il nous faudra un jour en tenir compte alors autant commencer à s’entraîner dès maintenant.
C’est un exemple, nous en avons bien d’autres…
Exporter le savoir-faire breton, est-ce aussi, dans votre esprit, exporter une certaine vision de l’économie, où la coopération a sa place à côté de la concurrence, où le profit n’est pas le moteur exclusif — je pense, entre autres, à la dynamique de Produit en Bretagne, par exemple ?
"Quand tu achètes un produit, tu achètes le monde qui va avec"
On ne peut manger d’un bon appétit un morceau de viande si l’on pense que l’animal a souffert, si on pense qu’il a pollué. C’est comme jouer au foot avec un ballon fabriqué par des gamins au Pakistan. Si tel est le cas, c’est que l’inverse doit être vrai alors disons ce que nous faisons et comment nous le faisons, ça évitera que d’autres disent de nous ce que nous ne faisons pas. Produit en Bretagne est une magnifique démonstration que l’on peut avoir la puissance d’une multinationale sans en avoir les défauts. Il nous reste des étapes à franchir ensemble comme par exemple de faire un cahier des charges commun à toute la Bretagne pour le "bon à manger" : il vaudrait mieux que ce soit nous qui le déterminions, en y mettant la dose de patrimoine et de respect qui nous habite … Une autre étape serait que nous nous mettions ensemble pour faire chaque semaine un train Casino, un train Carrefour et autres, pour économiser la planète, pour alimenter les plates-formes de ces distributeurs. Que chacun se réserve un ou deux wagons dans un train qui partirait chaque mardi pour Inter, chaque mercredi pour Leclerc…
Vous présidez le Groupe Glon, mais vous présidez aussi l’Institut de Locarn, et êtes très actif dans différents clubs et associations. Cet engagement traduit-il votre conception du rôle d’un chef d’entreprise ?
La France n’est pas sortie d’une organisation administrée de l’économie. Il aurait fallu qu’elle le fasse dans les années 80 ; son économie pourrait en mourir, alors sortons-en, sortons de la pensée unique. Le monde à changé, et le changement vient d’abord de ceux qui souffrent. Je ne crois pas un instant que ce sont ceux qui sont "aux abris" qui vont bousculer le système. La moitié de la France n’a pas compris que les pratiques et les charges de notre pays font partie de nos prix de revient. Nous sommes en situation d’importer une part de la récession de nos voisins Allemands et autres. Si un chef d’entreprise dont il est dit parfois "qu’il a réussi" ne s’expose pas pour que les choses changent, alors il se fait complice d’un système dont on sait qu’il nous conduit dans le mur.
Je préfère courir le risque de déplaire aux puissants plutôt que de mériter le mépris de ceux qui comme moi ont commencé tout en bas de l’échelle.
Nos entrepreneurs, nos ouvriers, nos paysans sont tellement meilleurs que le système qui les administre que je ne peux demeurer silencieux.
La crise est là, et je crois que vous pensez qu’elle sera durable et profonde. Comment voyez-vous les priorités que devraient se fixer les entrepreneurs bretons dans ce contexte ?
Je ne prétend pas avoir LA réponse, les réponses sont multiples et diverses.
J’avais cru que la France, qui a des atouts fantastiques, aurait su se remettre en cause, se remettre en cause sans violence — et le chômage est une violence. Je n’y crois plus, ou plus tout à fait.
Le monde est "acheteur" de plein de richesses qui sont les nôtres. Si dix, vingt, trente entreprises Bretonnes se choisissaient chacune un pays du monde où elle peut s’impliquer avec la totalité de nos richesses, si elle s’y implique et y entraîne nombre de petites entreprises, alors nous pourrions ainsi « préserver la braise » en attendant que la France, ou la Bretagne au moins retrouve son rang.
La démographie va jouer contre nous, choisissons les pays d’où viendront les travailleurs dont nous ne pourrons nous passer : nos écoles d’agriculture ont perdu la moitié de leurs élèves depuis 5 ans, le corps enseignant est resté le même, des milliers de jeunes ailleurs dans le monde ont besoin d’être formés, formés pour mieux valoriser, mieux respecter la terre nourricière qui va nous faire défaut…
Bref, regardons par-dessus le talus et cessons de croire que ce sont ceux qui ont créé les problèmes qui vont les résoudre.
Un grand merci, Alain, pour ces réponses directes et sans langue de bois !
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