Sept questions à Paul Champs - se caler dans ses valeurs...

Jusqu’en 2006 — date à laquelle il a passé le relais à son fils Paul-Emmanuel — Paul Champs a présidé Agencement Paul Champs, une entreprise familiale qui agence commerces, sièges sociaux… ou résidences de luxe tout autour du monde. Au long de sa vie professionnelle, il s’est toujours fortement investi dans des fonctions représentatives et plus largement dans la vie de réseau : une façon aussi d’élargir sa réflexion. Les valeurs de son entreprise, il les vit au quotidien. Laissons-lui la parole :
« Garder la fenêtre ouverte » est une expression que vous employez fréquemment : que signifie-t-elle pour vous ?
Elle signifie qu’il nous faut rester attentifs à l’environnement de l’entreprise, et aux autres plus généralement ; notamment au personnel et aux problèmes que chaque salarié peut rencontrer dans son activité… en évitant cependant la tentation du paternalisme. « Montrez-moi… » : il suffit souvent d’un simple échange pour trouver de nouvelles solutions. C’est aussi accepter l’innovation ; accepter que des idées nouvelles puissent nous pénétrer… et qu’on en tire profit !
De l’histoire de votre entreprise émergent des valeurs fortes — ouverture, respect des personnes, exigence, innovation et tradition, … : comment s’expriment-elles aujourd’hui ?
Le respect des autres — un respect mutuel — est un combat permanent. Ça ne doit pas être à sens unique. L’ouverture, ce n’est pas non plus se laisser écraser par les autres.
L’exigence est un autre combat : avoir un niveau d’exigence que l’on pense atteignable par l’autre, lui permettre de se dépasser, d’aller plus loin pour que l’entreprise profite de la progression de tous. Je lutte aussi contre l’incompétence : pour cela, il faut que les gens se sentent concernés par ce qu’ils font, qu’ils s’investissent dans leur travail. Un dessinateur ne tire pas seulement des traits : il faut qu’il sache pourquoi il fait ces traits… et c’est compliqué.
L’innovation, c’est être à l’écoute : j’ai par exemple appris à lire très vite des documents qui parlent de l’actualité de notre métier. Je ne sais pas ce que je cherche, je reste ouvert. Et certaines informations déclenchent un déclic. Je “cultive ma culture générale” en permanence, et je souhaite que les gens qui travaillent autour de moi en fasse autant. Ce n’est pas facile de faire passer ce message : beaucoup de mes collaborateurs sont curieux… mais de là à l’être dans l’intérêt de l’entreprise ! Quand un nouveau produit apparaît, je diffuse l’information. Mon acheteuse a le même réflexe : et on discute.
Nous restons attachés aussi à la tradition : le sérieux, la volonté de bien faire, le travail au sens noble du terme et la qualité. D’ailleurs, nous nous orientons plus vers l’ébénisterie que vers la menuiserie. « Mettez votre parquet par dessus. Ça cachera les trous ! », voilà ce que je ne supporte pas. Ce n’est pas le genre de la maison. On est là d’abord pour satisfaire les clients ; la rentabilité, ça ne vient qu’après.
Ces valeurs sont-elles à vos yeux une ressource pour piloter l’entreprise ? Comment ?
Ça va avec : il faut constamment faire pénétrer les valeurs. C’est un peu comme l’eau sur la terre, quand il fait sec : elle ne pénètre pas. Alors, il faut constamment arroser : dire les choses, sans perdre patience. J’ai des ouvrières à l’atelier, aujourd’hui : on voit que le boulot leur plaît. Ça me fait plaisir de les voir sourire ! Mais il y a des terrains incultes et il vaut mieux les détecter vite pour ne pas perdre de temps. Tout n’est pas possible avec tout le monde. La bonne imprégnation de ces valeurs est indispensable pour que l’entreprise progresse : c’est comme ça que chaque salarié peut devenir performant et devenir aussi un multiplicateur de ses valeurs autour de lui. Nous nous appuyons sur quelques-uns qui ont cette richesse potentielle, la capacité de créer de la richesse interne, d’apporter aux autres et de communiquer. Nous encourageons ceux qui ont ce potentiel.
Transmettre cet héritage aux jeunes embauchés est un défi. Comment le relevez-vous ?
Nous ne rencontrons pas de problème avec les jeunes. Il faut bien sûr qu’ils soient réceptifs à la culture de l’entreprise et qu’on sente une volonté d’avancer. Nous sélectionnons à l’embauche en fonction de cet aspect culturel et de leur aptitude à apprendre, à écouter… à obéir aussi. Un jeune pas motivé, ça se sent vite ! On essaye aussi de leur donner plus de place pour s’exprimer ; mais pas qu’aux jeunes. Car quelqu’un à qui on ne laisse pas assez de place peut très bien végéter dans l’entreprise… et finalement décider de partir ailleurs où il donnera sa pleine mesure. Ça nous est arrivé par le passé !
Dans la crise profonde que nous vivons aujourd’hui, y a-t-il à vos yeux une (ou des) valeur(s) de votre culture d’entreprise qui constitue(nt) un atout spécifique ?
Oui : la souplesse et la recherche de la nouveauté, de la diversification permanente ; l’aptitude à répondre à des marchés très divers : d’un cabaret à Monte-Carlo à un siège social à Rennes ou un bateau à Saint-Nazaire. Nous demandons aussi au personnel d’avoir une grande souplesse d’esprit : ne pas vouloir faire toujours la même chose, mais être intéressé par cette diversité que l’entreprise peut leur offrir.
Travailler dans une entreprise qui cultive son histoire et ses valeurs joue-t-il sur la motivation des salariés ? Comment ?
J’espère que ça joue ! Mais je n’ai pas la réponse. Je ne suis pas convaincu que tout le monde ait la fibre, car ça se dilue. L’appropriation des valeurs par le personnel demande un certain temps, c’est un travail de longue haleine.
Ce qui est sûr, dans la conjoncture actuelle, c’est que cette histoire et ces valeurs rassurent le personnel. Nous avons connu de nombreuses crises — en 1973, 1983, 1993, 2003…— et l’entreprise s’en est toujours sortie. L’investissement que nous venons de faire dans de nouveaux bâtiments est aussi la preuve de notre confiance dans l’avenir. Pourtant, il faut rester conscients que nos valeurs ne nous protègent pas. Il faut rester combatif : j’ai toujours couru après la pérennité de l’entreprise, mais une entreprise est aussi mortelle ; c’est un combat quotidien… et il faut aussi avoir de la chance.
Au-delà de votre entreprise, vous avez longtemps présidé l’UIPF — le MEDEF Finistère. Aujourd’hui, y a-t-il un conseil particulier que vous aimeriez donner aux entrepreneurs bretons ?
"Cultivez l'optimisme mais restez tenaces". Il convient de lutter contre ceux qui usent de leur pouvoir de nuissance et qui freinent en permanence l'élan économique (certaines administrations,collectivités et autres grandes entreprises...).Il ne faut pas accepter la démagogie d'hommes politiques qui souvent préfèrent ne rien décider que déplaire. "Se caler dans ses valeurs, avoir des convictions et le courage de les exprimer".
Avec cet article, nous poursuivons notre série : “Sept questions à …”. Vous pouvez bien sûr laisser vos commentaires. Si vous ne souhaitez pas qu'ils soient publiés, il suffit de nous l'indiquer dans le commentaire. Si vous souhaitez qu'ils soient directement relayés à la personne interviewée, là encore, il suffit que vous l'indiquiez.