Coupables ou … responsables ?
La France a beau proclamer sa laïcité à chaque occasion, le concept judéo-chrétien de la faute — la “coulpe” — occupe dans notre vie publique comme dans nos entreprises une place qui ne manque pas d’interroger.
Trouver le coupable avant tout
Inutile de s’appesantir sur cet autre concept biblique, très lié à la faute, qu’est le bouc émissaire. Les discours politiques d’une campagne présidentielle bien pauvre en idées y renvoient en permanence, qu’il s’agisse en l’occurrence des riches — ceux que l’on doit taxer à 75% au moins —, des entreprises du CAC40, de l’Europe — celle des accords de Schengen qui ont fait irruption dans la campagne ce dimanche —, des musulmans, des paysans — vous savez, ceux qui polluent nos rivières, pas ceux qui nous nourrissent ! — et mille autres selon les couleurs politiques et les circonstances. Mais il est vrai qu’en politique, ce n’est pas vraiment nouveau.
Ce qui est plus ennuyeux, c’est quand faute à expier et bouc émissaire envahissent le terrain de l’économie et des entreprises. Un cadre de la Poste se suicide, et, plutôt que de promouvoir une analyse rationnelle des responsabilités toujours multiples et complexes d’un tel drame, la presse offre un porte-voix à ceux qui crient à l’assassin en se tournant vers la direction de l’entreprise. Celle-ci n’a alors d’autre option que de chercher à se disculper.
La culpabilité sert à ne pas changer
Car qui dit culpabilité dit recherche de justification … ou de pardon. Un présumé coupable ne cherche pas à analyser les faits en personne responsable, mais à s’en absoudre. C’est humain ! La religion catholique a d’ailleurs fort opportunément inventé la confession. Elle permet de se faire “remettre ses péchés” sans attendre le jugement dernier. Sans cela, le poids de la faute serait vite insupportable. J’ai gardé de mon éducation chrétienne la mémoire de cette savoureuse formule : “Faute avouée est à moitié pardonnée” ! Et c’est là que le bât blesse.
De demi-pardons en demi-pardons, moyennant quelques mea culpa bien appuyés, quel besoin resterait-il de changer ? Le changement nécessite un effort bien plus grand qu’une simple confession publique. Regardons sous cet angle la triste affaire Strauss Kahn. A peine devenu Directeur du FMI, ce dernier était accusé d’avoir eu une attitude plus qu’ambiguë vis-à-vis d’une de ses salariées. Plutôt que de risquer d’envenimer une affaire qui aurait pu tourner à l’accusation de harcèlement sexuel, le fringuant Directeur avoua … une faute de jugement. Et quelques années plus tard … mais tout le monde connaît la suite. Car une fois pardonné, le “coupable” est en même temps absout de sa responsabilité, et peut donc continuer à vivre comme s’il ne s’était rien passé.
Changer suppose un sentiment de responsabilité, pas de culpabilité
Tout le monde n’est pas Dominique Strauss-Kahn. En revanche, tout le monde, ou presque, a besoin d’améliorer son comportement ou sa compétence dans un domaine ou un autre. Mais comment entrer dans une logique de progrès si l’essentiel de notre énergie est absorbé par un sentiment de culpabilité incoercible ? Un tel sentiment est insupportable, et nous avons deux stratégies inconscientes pour en venir à bout : avouer en recherchant le pardon, ou nier de toutes nos forces. Ces deux stratégies sont à peu près également réparties en entreprises. Le “c’est pas de ma faute” décliné sur tous les tons et avec de multiples variations emplit l’ordre du jour de nombre de comités de direction ou de réunions d’analyse de problèmes. Certes, c’est rarement dit avec ce ton enfantin de bon aloi, mais l’idée est la même : « la conjoncture n’est pas favorable », « le sous-traitant n’a pas tenu ses délais », « le marché est irrationnel », etc.
Dans l’autre registre, j’ai souvent aussi rencontré des “c’est ma faute”, avec un “pardonnez-moi, je ne recommencerai plus” sous-entendu tellement fort qu’on n’entend plus que cela !
La faute exige le pardon, la responsabilité exige le progrès !
En tant que manager, je répondais à ces deux pièges par un : « ne parlons pas de faute, mais de responsabilité. » Et la bonne nouvelle, c’est que vous pouvez agir sur ce dont vous êtes responsable ! C’est même au cœur de la notion de responsabilité. Je ne suis pas responsable de ce sur quoi je ne peux rien faire : le temps qu’il fait, le bonheur de l’humanité, le vieillissement, voire la faim dans le monde et autres fléaux de nos sociétés. En revanche, je peux agir directement sur mon mode de management, le temps que je passe à écouter mes collaborateurs, la qualité des consignes que je leur donne, la clarté de mes explications... Et si j'ai parfois du mal à assumer efficacement toutes ces responsabilités, je peux apprendre, me former, m’entrainer.
Aujourd’hui coach, j’ai très souvent l’occasion d’accompagner mes clients dans ce type de travail : mettre de côté leur sentiment de culpabilité pour pouvoir se consacrer entièrement à améliorer la façon dont ils exercent leur responsabilité. Ce qui est formidable, c’est de les voir alors gagner une liberté et une puissance extraordinaires. Car la culpabilité enferme alors que la responsabilité justement partagée ouvre des horizons infinis au progrès du management.