Publié par J2-Reliance

magicienSurenchère d’originalité en matière de formation managériale ? Contagion désespérante du show-biz dans le monde de l’entreprise ? Ou simple volonté de distraire les salariés à “bon” compte ? Comment ne pas s’étonner de certaines “formations” proposées encore aujourd’hui dans beaucoup d’entreprises ? Théâtre, chant, crapahut en sous-bois pour les plus audacieux… J’ai participé, il y a quelque temps, à une prestation étonnante d’un véritable homme de spectacle, sur le management en entreprise. Quel plaisir ! La salle n’en pouvait plus de rire. Un vrai talent ! Mais le seul souvenir qui m’en reste, c’est ce grand moment de rigolade partagé[1]. C’est déjà ça. Mais c’est bien peu au regard du coût exorbitant de cette courte prestation.

Rire est une excellente thérapie. Mais est-ce la vocation de la formation professionnelle ? Plus généralement, que retient-on de ces formations atypiques, si ce n’est le plaisir de sortir du quotidien ? J’entendais récemment deux salariées échanger dans les couloirs d’une entreprise : « Lundi et mardi, je suis en formation. Ça va me changer les idées », expliquait l’une d’elles à sa collègue. Après tout, formation rime avec récréation …

Doit-on en déduire que ces formations quelque peu “clinquantes” ne sont que des arnaques ?

Vraies questions…

Ce n’est pas si simple. Sortir du cadre, travailler par analogie, sont effectivement des méthodes pédagogiques reconnues. Dans le domaine du management, des relations interpersonnelles, elles permettent de prendre conscience d’un certain nombre de comportements qui nous sont coutumiers mais qui sont en fait inappropriés. Elles permettent d’expérimenter au sein d’un groupe d’autres façons de faire. Pour provoquer un vrai changement — ce qui est somme toute l’objectif d’une formation, en particulier au management —, on ne peut se contenter de faire travailler le cerveau gauche et s’en tenir aux arguments rationnels : les résistances, qui ont leur légitimité, s’en trouveraient renforcées. Il faut y ajouter une approche indirecte, qui sollicite le cerveau droit, créatif, ludique, associatif.

Faux prophètes…

Mais le mot clé dans ce qui précède, c’est le mot ajouter. Car expérimenter, dans un cadre différent de son cadre professionnel, des émotions ou des postures nouvelles ne suffit pas à ancrer les nouveaux comportements attendus. Robert Dilts compare notre cerveau à un aquarium rempli d’une multitude d’expériences. De cette multitude, nous ne retenons que celles qui font sens par rapport à nos présupposés fondamentaux. Pour faire évoluer nos présupposés, il ne suffit pas d’ajouter des expériences, il faut aussi les “connecter”, pour qu’elles commencent à faire sens. Et là, nous avons besoin de nos deux cerveaux, nous avons besoin de conceptualiser et nous avons besoin de replacer cette expérience dans le cadre de notre fonction dans l’entreprise, de notre équipe de travail, de notre environnement habituel.

Pour réaliser cette connexion, il ne suffit pas d’être un bon showman… Un chanteur d’opéra peut nous apprendre à chanter, il ne peut pas, seul, nous apprendre à manager. Un ancien officier peut nous apprendre à nous comporter dans un environnement de combat de jungle réelle, il ne peut pas nous apprendre, seul, à diriger une entreprise dans une jungle toute métaphorique.

four stages of lean competence sm

Allier expérimentation et compréhension

Pour faire la transition, il faut ajouter deux autres compétences : connaître les processus cognitifs pour tenter de s’y ménager un chemin efficace, et connaître l’environnement réel où devront s’exercer les nouvelles compétences. Passer donc, d’une démarche inconsciente, vécue en direct lors d’un stage “hors cadre” à une démarche consciente qui permette de recycler cet apprentissage dans son travail quotidien : c’est exactement ce que le Docteur Morgan Jaffrelot nous expliquait il y a quelques mois, quand il analysait pour nous l’intérêt pédagogique des simulations de situations professionnelles.

Cela nécessite, chez le formateur, à la fois une bonne expérience des fonctionnements de l’entreprise, une connaissance approfondie des processus à mettre en œuvre, enfin des capacités pédagogiques spécifiques qui permettront d’ancrer les nouvelles pratiques chez les participants. Pensez, quand vous faites appel à un showman pour former votre management, à vérifier s’il possède ces compétences !

Un décalage salutaire, pas une panacée

Car telles quelles, ces formations-spectacles restent inefficaces. Elles peuvent provoquer une prise de conscience salutaire, qui développe la réceptivité et facilite l’apprentissage qui suit. Encore faut-il qu’il y ait réellement un apprentissage opérationnel à suivre… Et à tout prendre, si on doit se passer d’une des composantes, est-ce bien l’apprentissage qu’il faut sacrifier ?

 

Remettons donc à leur place les shows et autres “pratiques de décalage”, et gardons-nous du chant des sirènes. Le métier de manager, comme le métier de formateur, ne sont ni du show-biz, ni du baroud.

 

 

 

[1] J’ai eu l’occasion de reparler de cette “formation” avec quelques personnes de ma connaissance qui l’avaient également suivie. Le constat était identique : un bon souvenir, mais aucun apprentissage réel. Nous évoquions la difficulté de l’évaluation des formations dans un précédent article : clairement, les salariés sortent heureux et satisfaits de ce type de séance. Mais est-ce bien le (seul) résultat recherché ? Quant aux tarifs pratiqués  — parfois plus de 6000 euros la journée ! — un tel plaisir éphémère suffit-il à les justifier ?

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