Publié par J2-Reliance

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La revue Sciences humaines consacrait, il y a peu, un article1 à la violence dans notre société.

 

La violence n’a plus de sens pour nous

« […] contrairement à un préjugé omniprésent dans le débat public, y énonce le sociologue Laurent Mucchielli, les violences interpersonnelles ne connaissent pas d’ “explosion“ depuis une quinzaine d’années […]. Au contraire, un processus de pacification des mœurs continue à travailler la société française et participe du recul lent, irrégulier mais continu de l’usage de la violence interpersonnelle comme issue aux conflits ordinaires et quotidiens de la vie sociale. […]En réalité, notre société ne supporte plus la violence, ne lui accorde plus de légitimité, ne lui reconnaît plus de sens. Du coup, les comportements changent de statut. […] Cette mutation s’étend aussi à la violence psychologique ou morale, sans dommage physique, c’est-à-dire à la violence verbale. De là, la fortune de la notion de harcèlement moral. »

Confirmant l’analyse sur le long terme de bien des écoles de sociologie et de philosophie, l’action de l’Etat continue de contribuer à la “disciplinarisation” de notre monde, en créant — notamment — de nouvelles infractions, et en les réprimant davantage. Cela vient renforcer le phénomène précédent.

 

La disparition des modes traditionnels de médiation

Ce mouvement s’accompagne d’un recours de plus en plus fréquent à la puissance publique pour régler les conflits de la vie quotidienne : une raison essentielle en est l’évolution de notre mode de vie en société. « De manière générale, les contacts de proximité s’amenuisent à une vitesse accélérée. Dès lors s’accentue encore un mouvement ancien de réduction des capacités de règlement infrajudiciaire des conflits interindividuels. Faute d’interconnaissance, d’habitude du dialogue et de médiation, les individus se retrouvent seuls entre eux pour réguler leurs conflits et n’ont d’autre solution, s’ils ne parviennent pas à s’entendre, que de se retourner vers les pouvoirs publics. » J’ajouterais que cette évolution s’inscrit aussi spécifiquement dans l’histoire de la France. Elle est en effet une autre traduction d’un principe républicain : il ne doit pas exister de corps intermédiaire entre le citoyen et l’Etat.

 

Réalité ou perception qu’on en a ?

Ainsi, ce ne sont pas les actes violents qui se sont multipliés, mais simplement notre propre perception qui a évolué : une perception confortée par le statut accordé à certains actes — qui sont devenus des infractions — et par la place prise par la justice dans le règlement des conflits correspondants.

A l’heure où le parquet de Paris vient d’ouvrir une information judiciaire contre X pour "harcèlement moral" suite aux suicides de salariés de France-Télécom, cette réflexion sur notre perception d’une notion qui est au cœur des systèmes de valeurs et de croyances de la plupart des civilisations — la violence — permet de resituer ce débat dans son contexte social.

Elle permet surtout de questionner nos a priori sur le sujet : Quelle est la place de notre perception2 ? Comment la présentation des chiffres et des faits joue-t-elle sur cette perception ? Cette prise de recul peut-elle nous aider à distinguer les simples corrélations des liens directs de cause à effet — autrement dit, à identifier les causes réelles des problèmes, la responsabilité des individus, celle de l’entreprise ? Que nous apprend-elle sur les notions de stress et de harcèlement moral en entreprise dont on parle tant aujourd’hui ? Comment enfin peut-elle nous aider à y répondre sans démagogie ?

 

Nous ne pouvons pas ignorer cette transformation “culturelle” de la perception de la violence : c’est une réalité à intégrer dans le management. Mais il ne s’agit pas pour autant — au nom de cette même perception — de multiplier les freins à un fonctionnement efficient de l’entreprise. Trouver ce nouvel équilibre ne se fera pas tout seul. Cela suppose un véritable engagement de la part de la direction de l'entreprise, pour traiter les vrais problèmes en évitant d'en créer là où il n'y en a pas. N'est-ce pas aussi à relever ce défi que nous engage Gary Hamel dans “The future of management” (significativement traduit en français sous le titre “la fin du management”) ?


1 Grands Dossiers N° 18 - mars-avril-mai 2010

2 Nous avons déjà vu l'importance de la notion de perception en management. En voici un nouvel exemple.

 


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