Transférer des connaissances informelles : le e-compagnonnage
Nous sommes entrés, entend-on souvent, dans “l’économie de la connaissance”. Et si ce n’était pas si nouveau que cela ? N’y a-t-il pas bien longtemps déjà que pour réussir durablement, il est nécessaire de maîtriser son métier et les connaissances qui le sous-tendent ? Les “compagnons du devoir” qui passaient des années à apprendre avant de devenir eux-mêmes, à leur tour, des maîtres, donc des “passeurs de savoir”, n’étaient-ils pas déjà, sinon dans une “économie”, du moins dans une société de la connaissance ?
C’est en tous cas ce modèle qui nous a inspiré quand nous avons commencé à parler de “e-compagnonnage”. Car le modèle de la transmission de connaissance par le compagnonnage a une force extraordinaire : il ne se limite pas à transmettre des savoirs explicites, ni même des savoir-faire pratiques, mais il permet aussi de transmettre des valeurs, des “savoir-être” … “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”, disait Rabelais. Notre monde moderne semble nous montrer que “science sans conscience” peut n’être que ruine tout court. Car il ne suffit pas de connaître une technique, ni de répéter mécaniquement les gestes de l’expert, pour être autonome dans la mise en œuvre d’un savoir, quel qu’il soit.
“Ceux qui savent, c’est ceux qui font”
Qu’il s’agisse d’agriculture ou de haute technologie, de prestations intellectuelles ou de métiers manuels, qui pourrait contester une telle affirmation ? Car le “savoir” de celui qui fait est composé d’un savant mélange de savoirs factuels, formalisés et (relativement) facile à transférer ; de savoir-faire, de “gestes” acquis par la pratique, et en partie “modélisables” ; et d’un “je-ne-sais-quoi” informel, en grande partie inconscient, qui lui permet d’avoir les “bons réflexes” dans des situations qui sortent un peu de l’ordinaire. C’est là que se situe l’enjeu du transfert de connaissances. A quoi servirait-il d’acheter une technologie si, au moindre écart par rapport à la norme, on ne sait plus faire ? A quoi servirait-il d’acheter des usines ou des fermes “clés en mains” si à la moindre perturbation, on est perdu ? C’est justement pour faciliter le transfert de ces “savoirs comportementaux” que le compagnonnage prend tout son sens.
Un exemple : développer une filière Porc compétitive et saine au Vietnam
Ce n’est sûrement pas un hasard si le premier exemple, à notre connaissance, de mise en œuvre du “e-compagnonnage” concerne le monde de l’élevage dans un “petit” pays d’Asie. Le Vietnam, 90 millions d’habitants dont 70 % en zone rurale, une croissance soutenue, entré dans l’OMC en 2007, a un besoin impératif de moderniser vite son agriculture. La Bretagne a une compétence mondialement reconnue dans de nombreuses filières agricoles, dont l’élevage de porc. Elle a aussi, en particulier dans ce domaine, des limites qu’illustrent les polémiques autour des algues vertes. Alors, si des éleveurs bretons aidaient des éleveurs vietnamiens à acquérir en cinq ans le niveau de performance exigé par un marché ouvert ? Seuls, il faudrait aux Vietnamiens quelques décennies, comme il en a fallu aux Bretons, pour atteindre ce niveau. Le e-compagnonnage peut être un accélérateur formidable : un éleveur breton “parraine” une ferme moderne vietnamienne. Les bâtiments, la génétique porcine, les aliments, etc., bref, tous les éléments techniques nécessaires sont mis en place au Vietnam. Mais “apprendre” à son filleul à mettre en œuvre équipements et techniques de façon optimale, c’est l’objectif assigné au parrain. Et il le fait comme le maître compagnon accompagnait autrefois son “apprenti” : il observe au quotidien les pratiques, et les “rectifie” quand cela lui semble nécessaire. Le filleul de son côté sait que s’il a des difficultés, il peut s’en ouvrir à quelqu’un qui fait le même métier que lui, simplement avec une “expérience cumulée” nettement plus grande. Pas de notion de hiérarchie ou de contrôle entre parrain et filleul, mais une relation de confiance basée sur le respect mutuel et l’intérêt commun. Et, bien sûr, ce sont les nouvelles technologies informatiques qui rendent ce “compagnonnage à distance” possible. Les échanges entre parrains et filleuls se font à travers une plateforme informatique dédiée, qui supporte des contenus multimédia, des échanges simultanés ou en temps différés, et une “encyclopédie collaborative” qui permet petit à petit de “formaliser” ce qui peut l’être dans ces savoirs informels. Ce projet n’est pas un rêve. Il est en cours, porté par Benefiq Asia. Les premières fermes vietnamiennes seront opérationnelles en 2011. Chaque ferme comprend une équipe d’une quarantaine de personnes, et est parrainée par une ferme bretonne, dont le “patron” accompagne directement son homologue vietnamien. J2-Reliance est en charge du pilotage de la partie “bretonne” de la formation des cadres vietnamiens de chaque ferme, et du e-compagnonnage.
Une multitude de domaines d’application
Le champ du e-compagnonnage n’est bien sûr nullement limité à l’agriculture en Asie. Démarrer une nouvelle usine — que ce soit en Europe ou ailleurs —, déployer des process de production, gérer des ressources naturelles, … les exemples de domaines où la “technique” ne marche que si les “hommes” savent s’y prendre abondent. Le e-compagnonnage peut apporter un début de réponse à cette question très ancienne des pédagogues, depuis Socrate : comment faire en sorte que mon élève apprenne plus vite que ce que j’ai appris moi-même. Son moteur principal est l’existence d’un intérêt commun, à définir et mettre en place selon chaque cas de figure. Son carburant, c’est la confiance et le respect partagé entre “gens du métier”, à construire dès le démarrage. Et, pour que le moteur tourne harmonieusement, une “bonne” animation des différentes communautés impliquées — parrains, filleuls, experts, formateurs —, qui s’appuie sur une plateforme Web efficace et simple.
Une entreprise d’un nouveau type, Raoul de Gaël, en a fait un axe majeur de son développement. J2-Reliance en est bien sûr partie prenante.
Nous y reviendrons dans un prochain article.