Sept questions à Morgan Jaffrelot - Former aux situations de crise par la simulation
Urgence, stress, angoisse, gestion des risques … Dans notre billet « Apprivoiser l’urgence », nous avions évoqué un futur Sept questions à Morgan Jaffrelot afin d’approfondir certains points qui pouvaient trouver des résonnances fortes au sein d’une entreprise.
Morgan, médecin-urgentiste et Directeur pédagogique du Centre de simulation en santé de Brest, le CESIM, a accepté de répondre à nos questions.
Le CESIM, en quelques mots, c'est quoi ?
Les courants actuels de la pédagogie encouragent les activités à fort investissement cognitif. En plaçant les situations professionnelles au centre des activités d’enseignement, nous reconstruisons des contextes de réalisation de soins, de gestes techniques, de prises de décisions en équipe. Le Centre Régional de Simulation en Santé est une sorte de bulle, ou de sas, sécurisé puisque ni l’apprenant ni le patient ne prennent de risques. Nous créons et provoquons des situations pour que les (futurs) professionnels de santé s’entrainent. Pour cela nous disposons d’outils pédagogiques tels que les simulateurs de patients électroniques, des simulateurs d’organes mais nous utilisons aussi des jeux de rôles lorsque cela est plus pertinent pour aider à apprendre, notamment la communication avec les patients.
L’urgence, ça n’a pas le même sens pour tout le monde. C’est du quotidien pour un médecin urgentiste, c’est probablement moins fréquent pour une sage-femme, c’est exceptionnel pour un pilote de ligne. Comment prendre en compte ces différences dans une approche pédagogique et opérationnelle ?
“L’urgence” est une équation dont les éléments comprennent une situation à résoudre, et les moyens matériel et cognitifs dont nous disposons pour y répondre. Très souvent dans notre métier nous employons le terme “d’urgence ressentie” pour replacer la demande d’un patient ou d’une famille face à nos décisions qui peuvent alors concerner la dimension médicale, sociale ou psychologique du problème présenté. Mais dans chaque métier il existe une part plus ou moins importante d’évènements imprévisibles. Lorsqu’il s’agit de la santé, ou d’une profession à risque (telle que le pilotage), alors il importe de bien distinguer les évènements dont les conséquences seront significatives.
Lors des activités de simulation, nous insistons sur l’analyse des processus de décisions afin qu’ils soient explicites pour tous les participants. Nous identifions ainsi ceux qui sont en lien avec la thérapeutique, mais aussi ceux qui détermineront le fonctionnement de l’équipe. Ce travail sur “les facteurs humains” est très nouveau dans nos professions médicales.
La simulation est un outil reconnu dans toutes les formations où le caractère technique, procédural, est dominant. Qu’en est-il quand c’est l’humain qui domine ? Y a-t-il alors des processus pédagogiques spécifiques ?
Les décisions de soins sont prises par des humains… et les situations de soins sont par définition “complexes”, ce qui signifie que la modélisation est périlleuse si l’on ne prend pas en compte la proportion d’éléments non reproductibles d’un patient à un autre par exemple. Nous essayons d’identifier lors de nos débriefings, ceux qui sont modélisables, et ceux qui seront le plus aléatoires. Très concrètement l’application d’un algorithme thérapeutique pour faire repartir un cœur arrêté peut être compliqué si l’on ne connaît pas les médicaments ; il faut alors les apprendre. En revanche prendre en charge un patient en arrêt cardiaque, dans un service de soins, à domicile, en présence d’une famille… devient rapidement “complexe” car il faut alors développer d’autres compétences pour y faire face. Appréhender le complexe nécessite d’explorer le processus, donc le raisonnement clinique. Dès lors, les stratégies pédagogiques doivent être, à notre sens, portées par les courants cognitivistes et constructivistes qui tentent de favoriser l’exploration des processus, afin de ne pas conclure sur l’observation du résultat, c’est à dire d’une action ou d’un comportement attendu.
Comment la simulation permet-elle de travailler, individuellement et collectivement, sur ses propres réactions en situation d’urgence, alors même que “ce n’est qu’un jeu” ?
Nous insistons lors de l’accueil des participants sur l’investissement nécessaire lors des séquences pour que nous puissions discuter lors du débriefing d’actions réalisées : “faites comme si vous y étiez”. Nous partons alors des faits observés lors de la simulation et non pas des “intentions supposées”. Ceci est primordial, car l’acte a été posé, en simulation, mais l’intention sera explicitée par le participant lui même. Le jeu permet alors à l’occasion d’actions produites d’échanger sur le processus. Nous faisons bien la différence entre des actions réalisées en simulation (environnement reconstruit plus ou moins fidèlement) et des raisonnements qui pourraient être transférables aux situations de la “vraie vie”.
Comment avez-vous, au CESIM, structuré le débriefing qui suit les séances de simulations ? Les différents membres de l’équipe qui ont “joué le jeu” ont-ils un rôle particulier dans ce débriefing ? Et comment interviennent “les observateurs” ?
Le débriefing suit globalement toujours le même schéma. Une période de parole libre, émotionnelle, où les participants livrent leurs premières impressions. Puis, nous revenons sur les faits et les problèmes posés par le scénario. Nous entamons alors des échanges entre les participants et les observateurs pour tenter de faire des liens avec des situations qui pourraient ressembler aux problèmes posés afin de forcer à la généralisation et à la discrimination. Ces efforts de “décontextualisation” font partie du débriefing. Nous terminons par une synthèse et des pistes de travail le cas échéant.
Comment transposer “dans la vraie vie” — en situation d’urgence, mais aussi en situation plus “standard” — ce qu’on a appris dans une situation de simulation ?
Il s’agit ici de la question du transfert des apprentissages. Il nous faut rester modestes dans notre rôle d’enseignants ayant recours à la simulation. Aucune étude n’a pu prouver que la simulation (en tant qu’outil de formation ou d’évaluation) était garante d’une compétence professionnelle effective. Ce que l’on sait en revanche, c’est que quand les apprenants participent à des activités d’enseignement où ils sont sollicités, en les exposant à de nombreuses situations cliniques, les obligeant à faire des liens cognitifs, et comprenant des périodes de rétroaction encadrées, ils sont mieux préparés pour réactiver leurs connaissances le moment venu. Les techniques de simulation s’y prêtent bien en effet, mais au même titre que le tutorat lors de stages d’immersion clinique, les travaux de groupes… etc.
Les équipes de management des entreprises travaillent aussi sur de l’humain, du complexe. Y a-t-il, selon toi, des parallèles possibles, voire un intérêt à “passer par le CESIM” pour travailler sur la dynamique d’une équipe de management d’entreprise ?
Nous avons appris beaucoup des formations par la simulation issue de l’aéronautique, notamment sur la place du facteur humain dans l’erreur. Nous nous sommes donc aussi intéressés au management des ressources internes à l’équipe, et en particulier en situation dite « de crise ». Les facteurs déterminants ont été explorés sous l’acronyme « CRM » qui signifie Crew Ressource Management lors de la formation des pilotes. Ces formations sont axées sur les aptitudes à la communication, à l’analyse d’un problème et sa verbalisation au reste de l’équipage et à la mise en place d’un leadership en situation de crise. Chaque fois que nous avons échangé avec des formateurs de ces professions exposées à des situations de crise, nous avons pu trouver des thématiques communes de discussion. Je pense qu’en effet, nous pourrions aisément faire des parallèles et trouver des thématiques de discussions similaires qui nous permettraient de faire des transferts à nos professions respectives et d’anticiper la gestion de situation de crise en équipe.
Merci, Morgan, pour cet éclairage de praticien expert sur un domaine aussi essentiel pour la compétitivité des entreprises qu'il l'est, dans ton activité, pour la sécurité et le bien-être des patients !
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